Tristram Gräbener, Life and Opinions

Anarchy in the IT

2016-07-29

En fin de compte, plus de rouge que de noir

Le titre était trop beau et j’ai voulu le garder malgré un changement de problématique.

Je voulais initialement parler d’anarchie dans le milieu informatique et affirmer in fine que des théories d’organisation d’entreprise qui ont 150 ans mériteraient d’être considérées par les jeunes start-ups innovantes.

J’aurais montré que tous les outils régulièrement réinventés pour décloisonner les entreprises encrassées avec le temps, tels que la gestion de projet agile, l’organisation d’entreprise matricielle, ou des concepts plus fumeux tels que l’holocratie reviennent toujours au même : réduire une attitude top-down néfaste qui se consolide au fil des années.

En conclusion, j’insisterais à dire qu’on gagnerait beaucoup de temps si --- au lieu de réinventer une roue voilée heptagonale --- on s’intéressait aux organisations anarchistes qui ont existé dans l’histoire.

Mais en discutant de ces sujets autour de moi, il y avait quand même un problème bien plus profond : il n’y a pas de démocratie en entreprise. Et cela semble totalement acquis et normal.

Le pouvoir d’un État à chaque citoyen

En effet, l’anarchie est juste une proposition de régime démocratique, où l’étendu et le besoin du pouvoir est remis en permanence en question. Elle se différencie ainsi de la démocratie représentative où l’on délègue notre pouvoir à des personnes élues, de la démocratie directe dont les référendums seraient quasiment une vérité ou encore du tirage au sort où certains travers de la représentativité par élection sont amoindris.

Les partisans de ces approches, d’hybridations ou encore d’autre approches peuvent se chamailler tard dans la nuit. Mais tout se fonde sur un socle commun : s’assurer que le peuple ait le pouvoir.

Le pouvoir en entreprise aux plus riches

Pourtant, une entreprise est une ploutocratie et cela ne gène personne. Il est largement accepté que l’apporteur de capital détient le pouvoir.

Très rapidement, même dans des start-ups à la cool, à peine arrivée à une vingtaine de personnes, il n’est plus possible d’avoir une vision générale de ce qui se passe dans l’entreprise.

Alors, l’innovation tant mise en avant sur la technologie est oubliée quand on parle management. Au moins un chef de projet, manager, chef de produit ou directeur viendra grossir les rangs pour avoir une vue d’ensemble. Celui-ci sera probablement imposé par le détenteur de capital aux travailleurs.

L’entreprise tombe alors très vite dans la tentation grossière des KPI (indicateurs clefs chiffrés) en affirmant laisser aux travailleur toute autonomie, du moment que leur travail est fait. Ce qui est leur travail est défini par le capital.

Malheureusement, ce genre d’outil empêche les travailleurs de réellement comprendre pourquoi ils font leur travail, comment cela s’articule avec le travail des collègues et on bascule vers une optimisation des KPIs en s’éloignant de l’amour du travail bien fait.

Malgré des compétences très homogènes

Pourtant, tous les directeurs, ceux dont le travail est d’avoir une vue globale et ceux qui font le travail viennent encore trop souvent du même moule : âge dans une fourchette restreinte, principalement hommes blancs, de famille intellectuelle, diplômés d’un master.

Les rôles des uns et des autres dans l’entreprise tiennent plus du hasard de la vie et de choix personnels que de la formation ou de l’expérience.

Comment se fait-il alors que l’avis des travailleurs ait tendance a être négligé sur les questions stratégiques et organisationnelles ? C’est pourtant eux qui produisent ce qui sera vendu ; ils ont une meilleure connaissance de leur activité, ont les mêmes compétences et expériences pour comprendre la vision d’ensemble et comprennent mieux que quiconque les problèmes de dette technique.

L’argument le plus généralement opposé, est que les travailleurs sont contents à leur place et délèguent avec plaisir une partie de leurs responsabilités.

Il y a également une grande dose de fatalité : à quoi bon essayer d’innover, on tombera toujours dans une entreprise désenchantée.

Enfin, il y a la bonne vieille peur d’AG sans fin pour un oui ou pour un non. Mais de mon expérience, une nouvelle tombée du ciel, qui fait jaser les travailleurs, et qui leur donne juste envie d’aller ensemble au bar à 17h n’est pas plus productif. À l’opposé, faire murir une idée pour qu’elle finisse par devenir évidente permet une mise en œuvre finalement plus rapide car appropriée par tous ceux que ça concerne.

Les bons sentiments

Mais ce qui me met hors de moi, c’est le refus ne serait-ce que d’essayer. Peut-être que j’ai tort, mais je ne connais aucun exemple où les travailleurs avaient un pouvoir significatif sur la stratégie ou l’organisation de l’entreprise.

Je suis convaincu des bonnes intentions des patrons et qu’ils croient sincèrement bien faire. Mais nous ne voulons pas d’une société patriarcale pétrie de bon sentiments dirigée par des gens qui ont l’impression de mieux savoir ce qui est le mieux pour tout le monde.

Lorsque des exemples sont donnés pour certaines entreprises, ce sont rarement les travailleurs qui en parlent (à part après leur départ pour être plutôt dans la critique). Les autocongratulations viennent généralement de managers ou patrons. Il est alors difficile de savoir si cela correspond à une réalité ou si les auteurs sont aveuglés par leurs croyances de ce qui est le mieux.

La note positive

Il existe quelques organes élus tels que les délégués du personnels et bien sûr des formes d’entreprises coopératives (plus dans le conseil et la prestation de service que dans les start-ups).

De même, il est habituel que les futurs collègues soient embauchés après avoir rencontré des pairs. Étendre ce fonctionnement pour choisir les coordinateurs et supérieurs qui se chargeront de la vue d’ensemble ou de la stratégie ne semble donc pas si délirant.

C’est bien beau de parler

J’admire ceux qui ont la motivation de se lancer corps et âme dans un projet à la viabilité incertaine. Clairement, je ne fais pas partie de ces gens-là. C’est donc prétentieux de ma part de vouloir mettre en péril un argent qui n’est pas le mien.

Mais je persiste et j’insiste pour dire que les entreprises auraient beaucoup à gagner à arrêter de considérer qu’avoir du capital est le meilleur moyen de définir le fonctionnement d’une entreprise.

Peut-être qu’un jour on entendra parler d’une start-up qui fera sa sortie par un rachat par les employés en coopérative, et non pas par une IPO ou un achat par un plus gros. Des exemples existent dans la manufacture tel que le très médiatisé 1336/Fralib.

En attendant, je commence à me convaincre que se syndiquer est peut-être l’approche la plus pragmatique pour avoir une voix plus unie des travailleurs pour améliorer le fonctionnement de l’entreprise. Oui, aussi en informatique, pas seulement dans des usines où le méchant patron exploite les employés.

Peut-être que cela aurait permis d’être un peu moins le sympathique râleur alors qu’unis nous aurions pu éviter la lente et prévisible dérive vers la mélasse top-down.