Tristram Gräbener, Life and Opinions

Les coopératives, capitalisme et révolution

2024-03-17

Les coopératives sont un sujet qui m’occupe beaucoup. Je travaille dans une coopérative depuis son début ; j’en parlais déjà dans Anarchy in the IT il y a bientôt huit ans ; je participe à la rédaction d’un guide pour recueillir des témoignages de fonctionnement de coopératives en informatique : codecode.coop ; je fais attention à ce que mon fournisseur d’électricité soit une coopérative et que ma complémentaire santé et mes banques soient mutualistes.

Mais malgré tout cet attachement aux coopératives, je reste hésitant sur leur rôle dans une perspective révolutionnaire. Le débat organisé par l’Union Communiste Libertaire avec le titre Coopératives de production et communisme libertaire résonnait donc avec mes interrogations.

La soirée était très riche et je remercie vraiment les organisateurices.

La suite est un peu la synthèse de ce qui flottait dans ma tête, en partie renforcé par le débat, en partie remis en question. Par contre il ne s’agit en aucun cas d’une synthèse de ce qui y a été dit. Les points de vue étaient variés et les angles de réflexion multiples.

La coopérative, c’est pour se protéger du capitalisme

J’ai tendance à considérer que les coopératives ne sont qu’un détournement des règles sur les entreprises capitalistes pour se créer un petit cocon protecteur.

Bref, dans toutes ces formes de coopérative, il s’agit de s’unir pour moins subir le capitalisme. Sans capitalisme, c’est-à-dire sans le besoin de capitaux pour créer les moyens de production et sans transaction financière pour échanger des biens et des services les coopératives n’ont plus de raison d’exister.

Évidemment, on pourrait considérer que les usines contrôlées par les syndicats tels que la CNT espagnole pendant la période anarchiste en Catalogne sont des coopératives. Il s’agit ici de débat sur les mots – et à titre personnel – je ne pense pas que l’on puisse parler de coopératives.

C’est pour cela que je ne suis pas favorable à une certaines tendance à édulcorer le vocabulaire capitaliste lorsqu’on parle de coopérative. Je préfère dire « actionnaire » et non pas « sociétaire » et rappeler qu’une SCOP est une entreprise à but lucratif (contrairement aux associations loi 1901).

Cela pourrait être un moyen

Il y a tout de même un rêve qui émerge : et si on chainait toutes ces coopératives ? L’agriculteurice se procure ses outils auprès d’une SCOP, distribue ses légumes par une coopérative que seront vendus dans un supermarché coopératif aux ouvrier·es de la SCOP qui habitent dans une coopérative d’habitants.

On a donc un tout un pan de l’économie qui échappe à la spéculation et à la propriété lucrative. C’est ce qu’essayent de pousser les coopératives intégrales.

Il y a aussi les SCIC, une forme de coopérative où le but est de mettre toutes les parties prenantes dans la même structure. Par exemple chez Enercoop, les salarié·e·s, client·e·s et producteurices sont actionnaires malgré des intérêts personnels contradictoires.

Ce genre de structures laissent donc entrevoir une approche pour totalement sortir des échanges marchands et finalement être révolutionnaires.

Peut-être par esprit de contrariété, j’aurais tendance à ne pas considérer ces super-coop comme des coopératives. À chacun·e de se faire son opinion.

Les coopératives restent une condition nécessaire

Si on considère que l’on doit sortir de la ploutocratie des entreprises (plus d’action = plus de pouvoir) pour aller vers de la démocratie (l’avis de chaque personne est aussi important, quelque soit le nombre d’actions détenues), alors la coopérative est forcément un point de passage.

La coopérative doit aussi être un lieu d’apprentissage de nouveaux moyens de prise de décision et d’expérimentation. Il faut en permanence s’aiguillonner pour sortir du confort et de l’auto-congratulation qu’une coopérative c’est quand même vachement mieux. Il faut rejoindre les syndicats pour renforcer la lutte des classes et voir un avenir plus désirable se construire, sans attendre le grand soir.

La coopérative peut donc être un outil pour réfléchir à la révolution et tester certaines idées in vivo, mais ne doit en aucun cas être une fin en soi.